Câble fatal
Après quelques journées grises, le 30 mars 1947, dimanche des Rameaux, s’annonçait, dès le matin, comme une journée ensoleillée propice à la promenade et aux évolutions aériennes.
Aussi, comme tant d’autres, la famille Salanouba quitta Bondy, en automobile, pour passer une journée à la campagne. En fin d’après-midi, en retournant à Paris par la route de Rosny, M. et Mme Salanouba et leur fillette s’arrêtèrent à la Demi-Lune, près du terrain d’aviation de Mantes-Gassicourt, à l’emplacement de ce qui sera plus tard le quartier du Val Fourré. Ils prirent plaisir à voir évoluer les avions puis, Mme Salanouba décida de s’offrir un survol des environs. Elle monta, donc, à bord d’un biplan Stamp de 140 chevaux. Cet appareil était piloté par son propriétaire, M. Henry Bouvier de l’Aéro Club de Colombes, un pilote chevronné ayant son brevet depuis vingt-sept ans et venant fréquemment se poser sur le terrain de Mantes, « dont il avait souvent survolé les environs », comme l’affirme L’Echo Mantais du mercredi 2 avril 1947.
Après un décollage impeccable, l’avion s’éloigna en direction de Bonnières… D’après l’unique témoin, M. Meyts, ouvrier menuisier à Rosny, le Stamp vira au-dessus de Rolleboise, pour revenir sur Mantes, en survolant la Seine à basse altitude. Et comme l’écrit le journaliste de L’Echo Mantais , déjà cité : « Le pilote voulut-il passer sous le câble du bac de Guernes qui surplombe la Seine à 22 mètres (?) (13 mètres selon l’exploitant du bac) ou, l’apercevant trop tard voulut-il se redresser pour passer au-dessus ? Nul ne le saura jamais, car accrochant le câble, qui résista au choc, l’avion et ses deux passagers furent précipités dans le fleuve, entraînant la rupture du poteau sur la rive du côté de Rosny. »
L’accident survint à dix-huit heures et les secours se rendirent rapidement sur les lieux, mais le manque de matériel empêcha de sortir l’appareil de l’eau. De plus, comme le souligne Le Courrier de Mantes du mardi 1er avril 1947, il paraissait évident que « le pilote et sa passagère avaient été tués sur le coup ». Le lundi 31 mars, en présence du sous-préfet de Mantes M. Chatelut et du capitaine de gendarmerie M. Garreau, les pompiers de Mantes, les cantonniers de la navigation et M. Vautier, passeur, avec son bateau à moteur « participèrent aux tentatives de renflouement de l’avion ». Selon les journalistes de l’époque et comme le confirme notre témoin Mme Vautier, cette opération, particulièrement difficile, n’a pu être menée à bien que grâce « aux sapeurs du cinquième régiment de génie occupés à préparer la gare provisoire en prévision du Jamborée », réunion internationale des scouts qui devait avoir lieu au mois d’août 1947 à Moisson. Vers midi, la vedette du génie cassa d’abord un premier câble puis recommença l’opération et réussit à amener l’épave à la berge et à la retirer de l’eau, à 13 heures 30.
Le Réveil de Seine et Oise, journal républicain du député Jean-Paul David, précise alors dans ses colonnes : « Dans un enchevêtrement indescriptible de toiles, de bois cassé, de tringles tordues, le câble se nouait en de nombreux lacs [nœuds] rattachant les uns aux autres les mille morceaux de l’avion. »
Le cadavre mutilé de Mme Salanouba, âgée de 33 ans, était resté attaché à son siège ; mais le moteur, le pilote et son siège avaient eux disparu. La profondeur de la Seine à cet endroit et la force du courant rendirent difficile la recherche du corps du pilote, qui ne fut retrouvé qu’à la fin du mois de mai, au barrage de Méricourt, après l’intervention de scaphandriers venus de Rouen. Quant au moteur de l’avion, il n’a jamais été retrouvé. Le Club de Colombes assigna en justice, pour vol de ce moteur, le passeur Charles Vautier, mais celui-ci fut facilement disculpé. Probablement, sous l’effet de son poids et de la violence du choc, ce moteur gît encore profondément enfoui dans la vase.
Cet accident entraîna l’arrêt, momentané, de la navigation et, en attendant la remise en place du pylône et du câble, « M le Sous-Préfet a demandé à ce qu’une vedette des Ponts et Chaussées en bord à bord avec le bac assure la traversée. » Cette disposition, rapportée par Le Courrier de Mantes, du mardi 1er avril 1947, souligne combien la traversée de la Seine par le bac, entre Guernes et Rosny, restait vitale à cette époque. D’autant plus, qu’après les destructions de la guerre, le franchissement de la Seine entre Limay et Mantes s’effectuait par un pont métallique provisoire et qu’il faudra attendre la fin de l’année 1951, pour que s’achève la construction du pont actuel. D’autre part, il fallut attendre plusieurs mois pour que l’entreprise « Trinquet », de Mantes, puisse remplacer le poteau, par un pin d’Oregon venu d’Amérique par bateau, et replacer le câble.