La libération de Guernes

1944  : année tragique, année d'épopée, année d'espoir ; année historique par excellence ! Qu'en fut-il pour Guernes ?

Guernes occupé

Au printemps de 1944, un détachement de l'armée allemande stationne à Guernes. Pourquoi un tel intérêt pour un village apparemment sans importance ? La géographie, comme souvent en histoire, explique cette situation étonnante. À la fois dominant la vallée de la Seine et lieu de franchissement du fleuve, le village occupe une position stratégique. Du rivage, les soldats allemands contrôlent la navigation sur le fleuve et surtout le passage du bac. Des hauteurs environnantes, les Allemands surveillent et combattent l'aviation ennemie qui utilisait la vallée de la Seine comme une sorte de couloir aérien, d'indicateur de trajectoire.

À Guernes, ces soldats allemands, au demeurant peu nombreux, logent dans les résidences secondaires et quelques maisons réquisitionnées. « La maison Bourlon », au n° 11 de la rue des Caillouets, par exemple servait à entre poser armes, munitions et vivres de l'occupant. Selon les témoignages de l'époque, ces soldats se comportent correctement avec la population. Ils sont aussi particulièrement dociles envers leur hiérarchie ; leur vie étant plus agréable à Guernes que sur le front russe, où l'armée allemande menait de rudes combats depuis la défaite de Stalingrad, le 2 février 1943. Ces soldats de l'occupant continuent leur entraînement sous la conduite de leurs sous-officiers en utilisant les arbres ou les buissons aux abords du village. Sans doute, lorsque l'armée allemande le réclame, ils participent à la sécurisation du franchissement de la Seine mais aussi à la surveillance aérienne et fluviale voire au combat anti-aérien. Leurs loisirs, peu variés, se résumaient à Guernes en promenades à bicyclette, consommations partagées au bar entre camarades et discussions avec ceux qui étaient de service.

Guernes libéré.

Après le débarquement du 6 juiin 1944, la bataille de Normandie, et précisément dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 août 1944, les bruits de l'artillerie et des balles traçantes indiquent que le front ouest de la guerre se rapproche de la Seine et des environs de Guernes. Quelle est la situation militaire ? À Guernes, une vingtaine de soldats allemands parmi lesquels on compte des Polonais, des Ukrainiens et des Alsaciens servent une batterie de « D.C.A légère située dans l'île de Rosny à 200 mètres en amont du bac. D'autre part, trois ou quatre Allemands sont cantonnés dans « la maison Bourlon ».

Dans la me nuit du 18 au 19 août 1944, l'avant-garde de l'armée américaine du général Patton s'embusque dans le parc du château de Rosny avec des forces bien supérieures à celles des Allemands stationnés à Guernes. Cependant l'armée américaine ignore tout de l'importance des forces allemandes présentes à Guernes et les Allemands ne savent pas que cette armée américaine projette de traverser la Seine entre Rosny et Guernes.

Dans ces circonstances, le maire de l'époque, Émile Ledebt, redoutant un bombardement du village par l'armée américaine, souhaiterait l'avertir qu'il n'y a pas à Guernes de force allemande susceptible de s'opposer sérieusement au projet américain. Animé du même souci, le fils du maire, Raymond Ledebt s'empare d'une barque du passeur, de bon matin le samedi 19 août, se laisse dériver pour ne pas être aperçu des Allemands tenant la pièce de D.C.A et se fait « cueillir » par deux soldats américains sur l'autre rive de la Seine. Interrogé par un officier américain, il indique l'emplacement de la D.C.A allemande et la faiblesse des effectifs allemands stationnés à Guernes. D'ailleurs, après une brève fusillade à travers la Seine, vers 8 h 30, les soldats allemands qui gardent la D.C.A se rendent aux Américains. L4artillerie américaine n'a plus à tirer sur Guernes mais un de ses obus tombé sur une cheminée a fait deux victimes civiles dans le village : Georgette Ledebt âgée de deux ans et demi et Suzanne Maréchal âgée de 13 ans. À côté de ces pertes civiles juvéniles particulièrement douloureuses, on peut penser que l'intervention de Raymond Ledebt a évité à Guernes d'être détruit.

Pendant ce temps, à Guernes, les trois ou quatre Allemands qui tiennent « la maison Bourlon » ont l'intention de la faire sauter ce qui peut mettre en péril d'autres demeures et les habitants les plus proches. Aussi, une dizaine de Guernois et André Mendon venu de Rosny organisent la résistance pour empêcher les Allemands de détruire cette maison. Au cours de cette opération, André Mendon trouve la mort dans la rue en pente qui passe derrière l'église et qui porte aujourd'hui son nom. De même, Roger Girardat est tué en pénétrant dans « la maison Bourlon » tandis qu'un Allemand blessé va succomber à ses blessures.

Le dimanche 20 août vers 11 heures les Américains qui ont traversé la Seine à Rolleboise et sur la passerelle de Méricourt, pénètrent dans Guernes par la rue de Flicourt tandis que ce même jour les sapeurs américains établissent un pont de bateaux entre Rosny et Guernes sur l'itinéraire du bac. Alors les Guenois et les guenoises, stupéfaits, vont voir passer pendant trois jours sans interruption, des chars impressionnants tandis que les soldats américains distribuent cigarettes et chewing-gums. La première tête de pont a libéré Guernes mais elle va permettre à l'armée américaine de libérer la rive droite de la Seine. La mairie de Guernes devient alors le PC du général américain Haislip, commandant le quinzième corps de la troisième armée US et il y reçoit le général Patton et le Major Bedel Smith chef de l'État Major du général Eisenhower.

On peut imaginer le soulagement, la joie, l'enthousiasme de la population guernoise au cours de ces journées mémorables même si l'inquiétude s'y mêle car la guerre n'est pas finie et certains ne sont pas encore revenus.

Benoît et Jean-paul Landrevie.

PS : Les ouvrages de René Martin et Louis Racaud « le Mantois sous la botte » et de Jean Caniot « Témoins d'une tragédie » (tome 4) ainsi que les bulletins municipaux Guernes (n° 3 de janvier 1985 et n° 22 de mai 1994) et enfin la monographie « Guernes de 1900 à nos jours » écrite par Daniel Dumont, Jean-paul landrevie, Michèle Martinez et Claire Morice ont permis de retracer cet épisode tragique de l'histoire de la commune.

Ce texte a été publié dans l'Écho de Guernes n° 10 de mai 2004.